Une forme qui ne se dessine pas : penser l’esthétique à l’ère de l’optimisation
par Patrick Jouin
La chaise TA.TAMU n’est pas née d’un geste ni d’un croquis, mais d’un calcul. Conçue avec les outils numériques de Dassault Systèmes et son module d’optimisation topologique, sa forme n’a pas été décidée par le designer : elle a émergé des contraintes mécaniques, révélant où la matière est nécessaire, et où elle ne l’est pas.
Le résultat surprend : une structure organique, presque vivante, qui évoque un squelette ou une ramification végétale. Elle n’est pas « dessinée » mais dégagée des forces, comme un os se forme. D’où cette question : comment penser esthétiquement une forme calculée, et non stylisée ?
TA.TAMU redéfinit l’épure. Là où le modernisme privilégiait lignes droites et surfaces lisses, ici l’économie est structurelle, non visuelle. Comme l’écrivait Simondon, « la forme est l’expression d’un devenir » : elle naît d’un processus, d’une tension entre matière et information.
Le rôle du designer change : il ne dicte pas une forme, il crée les conditions de son émergence. Le logiciel devient partenaire, co-auteur, confirmant l’intuition de Flusser : « Le designer du futur ne dessinera plus, il programmera. »
Cette esthétique du juste nécessaire s’apparente à celle du vivant : adaptation, efficacité, équilibre. Elle n’est pas décorative, mais conséquence. Elle révèle une beauté immanente, comme le soulignait John Dewey, « l’organisation de moyens dans la direction d’une fin immanente ».
TA.TAMU est une proposition, non un style : une voie vers une esthétique de la nécessité, attentive aux ressources, au vivant et à l’alliance entre intuition humaine et logique computationnelle. Le designer y devient le curateur des formes générées, celui qui leur donne lisibilité et sens.
L’avenir du design pourrait se jouer ici : dans la découverte d’une beauté qui ne s’impose pas à la matière, mais se révèle en la laissant parler.